Il y a vingt ans, Berlin
Cette semaine, l'ensemble des medias va fêter les 20 ans de la chute du mur de Berlin.
J'avoue avoir été pas mal secoué par cet événement, mais pour une tout autre raison.
Car dans ma mémoire, ce n'est pas le 9 novembre 1989 qui reste inscrit, mais bien le 13 août 1961.
Je suis arrivé à Berlin pratiquement le jour de mes 5 ans, en décembre 1959. Un long voyage qui a duré une vingtaine de jours, en voiture, entre Meknès au Maroc où je suis né, et Berlin, avec une halte chez ma grand-mère à Strasbourg. Une longue migration effectuée pour moi couché au fond le voiture, perclus d'un rhumatisme très handicapant. Et avant le choc de civilisation, entre la douceur du Magreb et la rigueur de la Germanie, la surprise fut de quitter la vingtaine de degrés positifs pour une vingtaine de degrés négatifs...
De la Cité-cadre comme on l'appelait, vers le secteur anglais, à l'ombre de l'Olympia Stadion et de la Cité Radieuse du Corbusier, pas très loin de Spandau et du Teufelsberg, la montagne du diable née de l'empilement des gravats de la démolition de la ville en 1945, notre vie fut rythmée par le quotidien d'une famille soudée, et de l'école et le collège pour certains d'entre nous.
A l'été 61, nous étions en vacances en Suisse dans une maison familiale protestante où mon père faisait office d'aumônier, comme nous en avions pris l'habitude depuis notre retour en Europe, lorsque la nouvelle est tombée. Retour impératif de tous les cadres militaires en urgence.
Dans la nuit du 12 au 13 août, 45 km de mur, sommaire au début, ont été construit, qui séparent la ville en deux, à l'est le secteur russe, à l'ouest les secteurs américains, anglais, et français. Le symbole de cette division restera toujours la Porte de Brandebourg, qui se trouvera à la limite entre Berlin Est et Berlin Ouest, lieu de passage que l'on appelera CheckPoint Charlie.
Ce fut pour nous le début d'une période qui, bien qu'encore très jeune à cette époque, restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Me reviens confusément les rues fermées par le mur, les lignes de métro qui traversaient la ligne de démarcation, les rames que l'on vidait, les voyageurs raccompagnés sous escorte sur le quai en face pour repartir vers Berlin Ouest, les croix posées à la hâte sur les trottoirs, en mémoire des fuyards abattus, les tréteaux sur lesquels les familles séparées essayaient d'entrer en contact avec l'autre côté...
Et comme j'en ai parlé là, la mémoire collective cristallisée autour des criminels nazis, dans la prison de Spandau, que mon père visitait tous les 15 jours, Rudolph Hess, Albert Speer, Baldur von Schirach.
Et les cartons empilés dans le vestibule de notre grande maison, qui nous indiquaient que notre père allait sans aucun doute visiter la communauté huguenote, francophile puisque constituée des descendants des protestants émigrants français fuyant la révocation de l'Edit de Nantes, dont les deux principales églises se trouvaient à Berlin Ouest. Médicaments, pièces détachées de voiture... Et les vopos qui ne regardaient plus l'Ausweiss présenté par mon père, Herr Pfarrer, comme ils disaient...
Puis le blocus de Berlin, les rotations d'avions sur l'aéroport de Tegel, situé juste à côté de notre école primaire, et de Templehof, dans le secteur américain, un atterissage tous les 5 minutes pendant plus d'une année, pour fournir à la population ce dont elle avait besoin.
Et toujours buter sur ce mur, comme une mouche sur une vitre...
Plus tard, j'y reviendrai en 1972, la dernière fois où j'ai retrouvé cette ville tellement surprenante. Le gouvernement allemand avait rédigé un décret exonérant de service militaire tous les jeunes hommes en âge de l'effectuer, et qui acceptaient de s'installer durablement dans cette ville. L'objectif avoué était de donner du sang neuf, pour faire vivre cette ville. De là date la foisonnement culturel, le dynamisme de cette capitale, régénérée par l'arrivée des alternatifs, des objecteurs de conscience, des artistes.
En 1989, j'ai eu l'impression pour moi que l'histoire me rattrapait. J'avais vécu la construction du mur, je vivais sa chute.
Et avant Berlin, il y eut Budapest, en 1956, et après Prague, en 1968... Et toujours a soufflé le vent de la liberté, à l'Est, même baillonnée un temps... Cela a forgé ma conscience de gauche humaniste...
J'avoue avoir été pas mal secoué par cet événement, mais pour une tout autre raison.
Car dans ma mémoire, ce n'est pas le 9 novembre 1989 qui reste inscrit, mais bien le 13 août 1961.
Je suis arrivé à Berlin pratiquement le jour de mes 5 ans, en décembre 1959. Un long voyage qui a duré une vingtaine de jours, en voiture, entre Meknès au Maroc où je suis né, et Berlin, avec une halte chez ma grand-mère à Strasbourg. Une longue migration effectuée pour moi couché au fond le voiture, perclus d'un rhumatisme très handicapant. Et avant le choc de civilisation, entre la douceur du Magreb et la rigueur de la Germanie, la surprise fut de quitter la vingtaine de degrés positifs pour une vingtaine de degrés négatifs...
De la Cité-cadre comme on l'appelait, vers le secteur anglais, à l'ombre de l'Olympia Stadion et de la Cité Radieuse du Corbusier, pas très loin de Spandau et du Teufelsberg, la montagne du diable née de l'empilement des gravats de la démolition de la ville en 1945, notre vie fut rythmée par le quotidien d'une famille soudée, et de l'école et le collège pour certains d'entre nous.
A l'été 61, nous étions en vacances en Suisse dans une maison familiale protestante où mon père faisait office d'aumônier, comme nous en avions pris l'habitude depuis notre retour en Europe, lorsque la nouvelle est tombée. Retour impératif de tous les cadres militaires en urgence.
Dans la nuit du 12 au 13 août, 45 km de mur, sommaire au début, ont été construit, qui séparent la ville en deux, à l'est le secteur russe, à l'ouest les secteurs américains, anglais, et français. Le symbole de cette division restera toujours la Porte de Brandebourg, qui se trouvera à la limite entre Berlin Est et Berlin Ouest, lieu de passage que l'on appelera CheckPoint Charlie.
Ce fut pour nous le début d'une période qui, bien qu'encore très jeune à cette époque, restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Me reviens confusément les rues fermées par le mur, les lignes de métro qui traversaient la ligne de démarcation, les rames que l'on vidait, les voyageurs raccompagnés sous escorte sur le quai en face pour repartir vers Berlin Ouest, les croix posées à la hâte sur les trottoirs, en mémoire des fuyards abattus, les tréteaux sur lesquels les familles séparées essayaient d'entrer en contact avec l'autre côté...
Et comme j'en ai parlé là, la mémoire collective cristallisée autour des criminels nazis, dans la prison de Spandau, que mon père visitait tous les 15 jours, Rudolph Hess, Albert Speer, Baldur von Schirach.
Et les cartons empilés dans le vestibule de notre grande maison, qui nous indiquaient que notre père allait sans aucun doute visiter la communauté huguenote, francophile puisque constituée des descendants des protestants émigrants français fuyant la révocation de l'Edit de Nantes, dont les deux principales églises se trouvaient à Berlin Ouest. Médicaments, pièces détachées de voiture... Et les vopos qui ne regardaient plus l'Ausweiss présenté par mon père, Herr Pfarrer, comme ils disaient...
Puis le blocus de Berlin, les rotations d'avions sur l'aéroport de Tegel, situé juste à côté de notre école primaire, et de Templehof, dans le secteur américain, un atterissage tous les 5 minutes pendant plus d'une année, pour fournir à la population ce dont elle avait besoin.
Et toujours buter sur ce mur, comme une mouche sur une vitre...
Plus tard, j'y reviendrai en 1972, la dernière fois où j'ai retrouvé cette ville tellement surprenante. Le gouvernement allemand avait rédigé un décret exonérant de service militaire tous les jeunes hommes en âge de l'effectuer, et qui acceptaient de s'installer durablement dans cette ville. L'objectif avoué était de donner du sang neuf, pour faire vivre cette ville. De là date la foisonnement culturel, le dynamisme de cette capitale, régénérée par l'arrivée des alternatifs, des objecteurs de conscience, des artistes.
En 1989, j'ai eu l'impression pour moi que l'histoire me rattrapait. J'avais vécu la construction du mur, je vivais sa chute.
Et avant Berlin, il y eut Budapest, en 1956, et après Prague, en 1968... Et toujours a soufflé le vent de la liberté, à l'Est, même baillonnée un temps... Cela a forgé ma conscience de gauche humaniste...