Béatrice
Au premier regard, je l’ai reconnue. Reconnue comme on découvre une évidence. Cette jeune fille était de ma culture, trop de signes communs nous rapprochaient.
Blonde, longiligne, une très grande natte qui soulignait sa colonne vertébrale, une intelligence vive, des yeux pétillants. Une bien jolie fille.
Nous avions 16 ans environ, nous étions au milieu d’un groupe de jeunes dans un car nous emmenant vers la Yougoslavie. Que nous n’atteindrons jamais, pour cause d’épidémie de variole. Puis notre route obliqua vers les Pays-Bas. De longues heures durant, nous parlâmes, échangeant nos envies, nos doutes, notre passion de la musique, elle pianiste, moi guitariste. J’aimais sa compagnie, je me retrouvais dans ses paroles, nous avions l’un envers l’autres tant d’affinités et de complicité.
Nous nous cherchions du regard, échangions sans un mot, nous rapprochions et nous éloignions, jamais bien loin l’un de l’autre, jamais trop proches…
La dernière nuit de ces vacances, nous l’avons passée chez le responsable de ce voyage, elle repartant sur Lyon, moi sur Strasbourg. A-t-elle raiment posé sa tête sur mes genoux, assise sur le tapis, tandis qu’encore nous nous parlions, chuchotions, plutôt, pour ne pas réveiller notre hôte, alors que l’urgence du départ nous entraînait vers des confidences plus intimes...
Nos lettres continuèrent la magie de la rencontre. J’aimais sa manière d’écrire, son inspiration décalée, une mise en page totalement surréaliste, me rappelant les correspondances entre Cocteau et Jean Marais. Je passais des heures la nuit à déchiffrer ses hiéroglyphes, à chercher les messages secrets et les non-dits, un mot qui aurait confirmé en retour l’inclination que j’avais pour elle…
Un jour, je reçus un petit mot laconique : Un ange va venir se poser à Montpellier. Elle arrivait au moment où je ne l’attendais plus, où je partais m’installer à Rennes pour débuter mon apprentissage de lutherie. Je ne l’ai jamais revue. Je la garde dans mon cœur. Je saurais la retrouver, je sais où elle est, ce qu’elle fait. Un jour ?