Un double miracle
Un entrefilet aux infos d’Inter il y a quelques jours m’a fait remonter dans mes souvenirs d’il y a plus de 20 ans.
A l’époque, j’étais responsable commercial pour une association de tourisme social, et mon secteur d’intervention était le Languedoc-Roussillon.
Parmi mes prospects, il y avait le Ski Club des Cheminots de Narbonne. Un local dans un bâtiment de la SCNF, un véritable club-house entièrement aménagé par les membres du ski-club, et une association dirigée par une personne avec un charisme étonnant.
Au fil de nos rencontres, il me raconta un peu sa vie.
En 44, militant communiste, âgé de 16 ans, il se trouve raflé avec des camarades cheminots suite à une action de résistance. Alignés dans une cour, les SS ont fait sortir du rang le premier, puis le troisième, le cinquième, et ainsi suite, avant de fusiller sous les yeux de leurs camarades ceux qui avaient avancé d’un pas. Mon ami avait été miraculeusement été épargné, puis interné au camp de Rivesaltes, déporté. Cela devait guider sa vie, son militantisme communiste et sa foi en l’humanité. Une personne magnifiquement humaine.
Après quelques années, j’avais changé de métier, et je découvre en gros titre sur la une du Midi-Libre « L’incroyable odyssée du retraité narbonnais ».
Où je découvre, en lisant l’article, une histoire proprement incroyable.
Depuis quelques temps, suite à un accident de la route qui l’avait marqué, notre ami avait pris l’habitude de prendre des chemins de traverse, pour éviter le flux automobile qui lui faisait un peu peur, à chaque fois qu’il montait dans les Alpes pour visiter des centres d’hébergement pour la saison hivernale du ski-club.
Et cette année-là, de routes départementales en chemins vicinaux, notre homme se perd jusqu’à emprunter des routes forestières. Les premières neiges rendent la circulation difficile, jusqu’au drame : la voiture dévisse sur le bas-côté, et glisse de 20 mètres dans un ravin forestier, où elle se couche sur le toit. Mon ami se retrouve alors coincé par son volant, le bassin fracturé, perdu en pleine forêt dans la montagne. Incapable de sortir, il va commencer par essayer d’appeler avec son klaxon, jusqu'à évidemment épuiser sa batterie. A cette époque en 88, le téléphone portable est une technologie chère et donc peu répandue.
Il va survivre dans cette position pendant 8 jours, se nourrissant d’un paquet de gâteau et buvant son urine, jusqu’à être découvert par hasard, en vie, par un couple de randonneurs en raquettes.
Je ne l’ai jamais revu pour qu’il me raconte son histoire, mais j’y repense souvent, à ce double miracle dans une vie d’homme. Sans doute parce que c’était un honnête homme, il a été épargné deux fois.
Après ça, comment ne pas avoir foi en la vie. Il me suffit d’y penser quand les bras me tombent parfois…